8) LE NÉO-DRUIDISME
Il existe actuellement peut-être un million de personnes, dispersées à travers le monde entier, principalement en Europe, en Amérique et en Australie, qui prétendent être druides, ou affiliées à des ordres ou confréries druidiques. Il faut le savoir, et il est nécessaire d’en parler.
Ces confréries sont très nombreuses, très variées et souvent opposées les unes aux autres, tant par la doctrine, le rituel et les buts réels que par l’origine sociale des participants. Rares sont celles qui sont purement druidiques, les unes admettant une double appartenance, notamment au catholicisme, à l’orthodoxie et aux différentes églises protestantes, les autres relevant davantage des loges maçonniques que d’une tradition druidique authentique. Le plus grave est que chacune de ces confréries prétend détenir cette tradition. Mais, visiblement, elle n’est pas la même pour tout le monde.
Tout le monde admet qu’il n’y a pas de textes écrits officiels révélant cette authentique tradition druidique. C’est d’ailleurs très commode : chacun peut ainsi faire valoir qu’il est l’héritier d’une tradition transmise oralement depuis des siècles et recueillie par lui. Le malheur, c’est que nous ne sommes pas obligés de le croire : il serait tout à fait superflu de demander aux druides qui prétendent descendre d’une filiation orale la moindre preuve de cette filiation, puisque, par définition, il n’y a aucune preuve. On voit ainsi que les portes sont ouvertes sur l’infini. Le rêve étant une des caractéristiques de la mentalité celtique, tout cela est donc dans une tonalité celtique, c’est incontestable. Encore faudrait-il s’y reconnaître.
On peut classer ces confréries druidiques[335] en quatre catégories principales. La première est la lignée de John Toland (1669-1722), Irlandais catholique, qui fonda son ordre le 22 septembre 1717. Il s’agit d’un mouvement assez contestataire, connu actuellement sous l’appellation de Druid Order, dont les tendances paganisantes du fondateur ont été tempérées par des modifications apportées par des Anglicans. On y chercherait en vain du druidisme pur, si tant est que celui-ci existât encore. L’influence du célèbre poète William Blake, qui fit partie de l’Ordre, paraît très importante sur cette branche druidique nettement ésotérique, aux allures de société secrète. La deuxième lignée est celle d’Henry Hurle, qui fonda, en 1781, l’Anciens Order of Druids. Henry Hurle a donné à cette confrérie une coloration maçonnique assez visible (il était charpentier), ainsi que des préoccupations humanitaires, en particulier pour ce qui concerne le mutualisme et la prévoyance sociale. William Blake aurait fait partie, aussi, de ce groupe. Le rituel semble en tout cas très inspiré par la maçonnerie écossaise.
La troisième lignée est celle de Iolo Morganwg, de son vrai nom Edward Williams, ouvrier maçon né en 1747 dans le comté de Glamorgan, au Pays de Galles. Cet autodidacte génial s’intéressa beaucoup à la vieille culture celtique, fit d’abondantes recherches et publia quelques ouvrages dont l’authenticité est toujours sujette à réserves. Il est probable que Iolo Morganwg a recueilli des traditions populaires et qu’il connaissait assez bien la littérature médiévale galloise, c’est tout ce que l’on peut dire. Mais cela ne l’empêcha pas de fonder la première Gorsedd (assemblée) druidique et bardique, à Londres, le 21 juin 1792, le jour du Solstice d’été. On mesurera d’ailleurs le sérieux de tout cela si l’on sait que les anciens druides n’avaient aucune fête solsticielle, ce qui est prouvé par tous les documents dont nous disposons. Mais, quoi qu’il en soit, le mouvement était lancé. La Gorsedd galloise va devenir la branche quasi-officielle du druidisme, et c’est à cette lignée que se rattache l’actuelle « Fraternité des Druides, Bardes et Ovates de Bretagne ». Les préoccupations de cette lignée étaient au départ assez nationalistes, mais elles ont évolué vers une recherche très littéraire au Pays de Galles, beaucoup plus culturelle et même scientifique en Bretagne. Mais, en aucun cas, les membres de cette lignée ne se sont considérés comme des prêtres d’une ancienne religion. Ils admettent les doubles ou triples appartenances et sont parfaitement conscients que leur « druidisme » est une perpétuelle recherche de la sagesse celtique.
Une quatrième catégorie peut rassembler d’innombrables confréries, fraternités, groupes ou sectes qui ne se rattachent pas forcément à l’une des lignées précédentes. Certaines confréries ne tiennent que par la volonté éphémère d’un fondateur. D’autres sont liées à des traditions différentes. Chacune d’elles a sa propre conception du druidisme, mais le plus souvent, il apparaît que ces conceptions sont le résultat d’un syncrétisme où se rencontrent les éléments les plus hétérogènes, pour ne pas dire hétéroclites. Quelques-unes sont franchement païennes, ou désireuses de renouer avec le paganisme ancien. Il faut faire une mention spéciale de l’Église Celtique Restaurée, qui dépend de l’orthodoxie chrétienne, mais qui cherche à retrouver à travers le christianisme celtique, tel qu’il a été vécu par les premières communautés irlandaises et bretonnes, l’harmonie entre le druidisme ancien et la religion nouvelle. On sait que saint Patrick ordonna prêtres et même évêques des fili irlandais, et que ceux-ci, dépositaires d’une double tradition, l’ont transmise à leurs successeurs. L’Église Celtique Restaurée prétend avoir la preuve de cette filiation.
Cela dit, en dehors de l’Église Celtique, le rituel de ces confréries n’est qu’une reconstitution conjecturale de ce qu’on imagine avoir été le rituel druidique. Aucun de ces rituels complexes et variés ne peut avoir été celui des druides, avant l’introduction du christianisme. C’est une malhonnêteté de le prétendre. C’est être crédule ou fort mal informé que de le croire. Quand on est de bonne foi, on peut y trouver ce que l’on recherche soi-même, et c’est un aspect positif. Mais le manque d’informations, les erreurs manifestes, en particulier à propos de la date des fêtes, la tendance à l’ésotérisme qui permet n’importe quelle divagation, le syncrétisme, l’influence pernicieuse des doctrines et des rites de l’Orient et de l’Extrême-Orient, tout cela n’arrange pas la clarté de l’affaire, ni le caractère celtique lui-même. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement de valeur, chaque participant de ces confréries ayant ses propres motivations, ses propres recherches, sa propre spiritualité, qui sont des choses parfaitement honorables et respectables. Il s’agit seulement d’affirmer que ces rituels, comme la doctrine qui leur est corollaire, semblent peu conformes à ce qu’on connaît historiquement et scientifiquement des druides.
Il ne suffit pas de se prétendre druide, de prononcer des paroles en une quelconque langue celtique, de s’habiller d’une grande robe blanche, pour être réellement un druide.
Nous avons dit que le druidisme ne se justifiait que dans le cadre de la société celtique parce que le système druidique était en quelque sorte la conscience de l’organisation sociale. À partir du moment où la société de type celtique a disparu, il était normal que le druidisme disparût puisqu’il ne pouvait plus être vécu en tant que religion. Restaient les principes du druidisme. Seraient-ils tous disparus ? Certainement pas. D’où cette recherche passionnée du néo-druidisme, quelle qu’en soit la forme, pour tenter de retrouver ce qu’était la pensée druidique, ce qu’était le rituel druidique. Accomplir cette quête, car c’est une véritable quête du Graal, est une démarche intéressante. Encore faut-il qu’elle soit menée avec toutes les garanties qui s’imposent.
Il y a une certitude : sans société celtique, il ne peut y avoir de druidisme. Le néo-druidisme n’est que de l’archéologie[336].